Journal de bord 1 – Rien n’est perdu, tout commence

Enfin arrivés à Tena, aux portes de l’Amazonie, nous onze, les artistes explorateurs, faisons une entrée en matière tonitruante avec la découverte du campus de l’Université régionale de l’Amazonie (IKIAM), créé il y a quatre ans pour préserver la biodiversité d’un milieu exceptionnel (100% d’humidité, tout le temps, et 6 mètres de pluies par an), et dont le millier d’étudiants grossit de trois-cent chaque année.

Une réserve de 93 000 hectares largement inexplorée entoure le site où, apprend-on, une chercheuse de l’IKIAM s’est donné pour objectif d’y débusquer un individu d’un biotype de jaguar noir qui serait donné pour éteint. Rien n’est perdu !

Le directeur de recherche Graham Wise, « pas artiste mais photographe amateur », dit-il, nous montre divers insectes qui pourraient nous inspirer « des films d’horreur comme cette grosse guêpe, ma préférée, qui chasse les mygales sous terre pour nourrir sa progéniture ». Puis il offre sa tournée de wayusa, boisson à base d’une plante dont les propriétés n’ont rien à envier à celles du thé vert et du café. « Nous avons récemment obtenu l’autorisation d’en exporter les extraits vers l’Europe en attendant celle de pouvoir y commercialiser les feuilles », raconte Graham le Sage. La verveine et le picon bière n’ont qu’à bien se tenir.

L’université IKIAM possède un site archéologique dont les vestiges remontent au paléolithique. On devine des maisons circulaires construites, puis reconstruites, au gré des crus et des éruptions volcaniques ; les différentes strates de terre mises à nu dans de profondes fosses où s’affairent des étudiants armés de truelles, une terre alternativement noire, cendrée et limoneuse, le prouvent.

Le regard de l’institution est aussi tourné vers l’avenir puisque son département d’architecture écologique a créé un modèle de maison en bambou « qui coûte 25 000 dollars et dure cinquante ans ».

Comment l’étude d’un papillon prouve-t-elle le réchauffement climatique ? La chercheuse Gabriela Montejo vous le dira en détail puisqu’elle présentera sous peu ses travaux à l’université de Cambridge. L’espèce heliconius erato, qu’elle a choisi d’étudier, s’adapte si bien à divers milieux situés entre le niveau de la mer et 2 000 m d’altitude qu’elle modifie notoirement la taille de ses ailes d’une génération à l’autre selon l’altitude. Elle dépose ses œufs sur les feuilles de la plante Paciflora dont la forme est celle des ailes de papillon… des œufs qui ressemblent à s’y méprendre… aux bourgeons de ladite fleur.

C’est un peu cette leçon, celle d’une d’adaptation forcée, que nous retenons de l’exposé de la « Cosmovision indigène Napuruna » offerte par Darwin Grefa, alias Cayu Samai, apprenti chaman (Ushayuk) et tout à la fois chrétien, qui nous raconte les méthodes des jésuites puis des évangélistes pour convertir les locaux en commençant toujours par enlever leurs enfants. L’adaptation a été rude au point que les Bancus (chamans première dan) ont dû transformer leurs maisons en lacs et eux-mêmes en serpents pour fuir les missionnaires. Les deux cultures à présent cohabitent même si les savoirs ancestraux font maintenant partie du folklore, et les ados indigènes, comme tous les ados du monde, préfèrent la sonnerie de leur portable au son de la flûte de l’ancêtre réveillé à 3 h du matin, au premier chant du coq de forêt, pour leur raconter les mythes kichwa.

On les comprend. Mais rien n’est perdu !

M-H. A.

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