Jeudi 27 septembre, Lagon Bleu, province du Napo, Équateur. On ne se retrouve pas dans le décor du film, c’eût été trop beau !, mais sous une chute d’eau, en Amazonie, point de départ d’une excursion pédestre qui vira à la tragédie évitée de justesse.
Où est l’Eldorado ? Où sont les Amazones au sein coupé pour mieux tirer à l’arc et dont l’autre doit être sacrément bombé ? Après trois jours d’expédition, nada, rien. Faute d’or et de créatures fantasques, comment démultiplier, alors, la valeur des mille euros du contrat versés à chacun de nous onze, les artistes explorateurs, aux jambes déjà lacérées de morsures et hypertrophiées de piqûres à force de louvoyer Dame Nature ? On danse avec les roches, on joue du violon sur des lianes, on dactylographie le murmure du fleuve, on filme tout ça avec de beaux effets, oui, mais pour… quoi ? « Une expédition de ce type a-t-elle encore un sens en 2018 ? » s’est demandé un beau jour, à Nantes, le chorégraphe Hervé Maigret. On aurait peut-être mieux fait d’écouter la Loire. On l’a suivi. L’expédition entamée, certaines questions obnubilent.
L’argent, le sexe et le pouvoir ne meuvent-ils pas le monde ? Le défilé du 14 juillet le prouve, l’attention médiatique portée au cours des devises étrangères et de ces bourses aussi, lesquelles se vident dans tant de bordels qui tous échappent au fisc, de Paris à Quito. Pourtant, ayant l’art pour arme, dans cette Amazonie encore vierge, nous qui luttons contre le réchauffement climatique, l’armement et la loi de « l’homme est un puma pour l’homme » dont s’affuble Trump le Selfie Made Man et qu’accepte Macron le Méritocrate, cela devrait être facile, gagné d’avance même. Serait-on venu là pour contribuer, indirectement, au rayonnement culturel vuittonesque de la France, amie des peuples consommateurs de belles et bonnes choses bien de chez nous ?
« Dame Nature, pleine de grâce, reine du temps et de l’espace, daignez accueillir celui qui passe », disait le Werther de Goethe. De l’autre côté du Rhin, nous avions Lamartine pour président de la République.
Trêve de romantisme. Julie, notre philosophe, vous racontera sa chute du capitalisme vécue jusque dans sa chair arrachée contre la paroi de la « cascade du Diable » (Supay Pakcha), alors qu’elle jouait le rôle de la Magicienne d’Ozone. Curieusement, le baume local prodigué sur son gros orteil coupé en deux, presque, appliqué par notre guide kichwa, se nomme le « sang de dragon » et s’avère efficace puisque les morceaux se sont recollés en quelques heures. Seule l’idéologie en a pris un coup irrémédiable.
Au moins, au détour d’un sentier escarpé, a-t-on eu droit à une scène de bolas savamment chorégraphiée. Notre acteur et violoncelliste Rodrigo Becerra, danseur érotique à ses heures environnementales, s’affranchit de la tâche haut la main, c’est peu dire. La consigne est venue d’Hervé : « Mythologiquement parlant, vous êtes le premier couple. Inspirez-vous des lianes », dit-il à Rodrigo et à sa compagne, Emilia Benitez, belle comme l’Eve imaginaire avec ses longues boucles châtaines et ses yeux verts spirituels. Dès qu’ils s’enlacèrent, timidement puis furieusement, les lianes alentour ont paru se recroqueviller de respect et de jalousie. À tel point que nous avons dû les secouer lors des étreintes les plus intenses du couple, ceci pour donner encore plus de punch à une scène… comment dire… bellísima. Le corps humain nu est si nu dans la jungle que sa fragilité semble expliquer le pourquoi de la bombe nucléaire ; et l’intelligence de ses mouvements, face à l’Autre, le comment.
M-H. A.