Texte philosophique 4 – La goutte perdue

C’est l’histoire du méchant. Oh pas le méchant monstrueux immense avec des poils hirsutes, de la bave aux coins des lèvres et des dents pointues. Non ! Le méchant de notre histoire est celui que l’on croise tous les jours. Il fait des choses méchantes et s’en vente juste après. Vous le connaissez, tout le monde en connais un ! Peut-être que votre méchant à vous s’appelle Diego, Elie, Karim, Léo, Bérangère, Leila ou Sarah, cela n’a pas d’importance. La seule chose qui est certaine, c’est qu’à chaque fois que ce méchant raconte ses exploits vous ressentez comme une petite boule au creux de votre ventre. Ça c’est la colère qui monte. Vous le regardez narguer tous les autres mais vous n’êtes pas dupe, vous aimeriez bien qu’il se taise ! Il peut très bien vous racontez qu’il a écrasé un lézard en lui tranchant la queue, qu’il a capturé un oiseau pour lui prendre ses plumes, volé le déjeuner de ce camarade dont tout le monde se moque, vous en avez marre de le voir se vanter de toutes ces injustices. Et vous espérez qu’un jour enfin quelqu’un le remette à sa place…

C’est ce qui est arrivé à Malek. Son prénom signifie « celui qui possède » ou « le roi », et peut-être parce que quelqu’un le lui avait dit un jour, Malek s’était mis en tête de posséder tout ce qu’il voyait et qui lui plaisait. C’est ainsi qu’on le vit se glorifier d’avoir capturer le chat de sa baby-sitter pour le mettre en cage, d’avoir récupérer les bonbons du copain de son petit frère parce que c’étaient ses préférés, ou encore d’avoir réussi à rentrer dans le bureau du directeur pour lui prendre la photo de sa famille qui se trouvait depuis toujours sur son bureau. Sa chambre commençait à ressembler à un musée un peu bizarre où trônaient, sans ordre et sans soin, tous ses larcins !

Ce qui plaisait à Malek ce n’était pas de voler, c’était d’avoir ce qui était important pour les autres. Plus quelqu’un aimait quelque chose, plus Malek avait envie de l’avoir pour lui. Sophian avait remarqué ça. Sophian connaissait Malek depuis toujours, ils avaient le même âge et, même si Malek avait changé, Sophian se souvenait de bonnes parties de rigolades quand ils étaient plus petits. Il ne pouvait pas croire que tous ces souvenirs s’étaient envolés et qu’il ne restait plus rien du Malek avec qui il avait tant parlé et joué. Il se souvenait que Malek était malicieux et intrépide, ça c’est sûr, mais il avait toujours eu une profonde envie de rire avec ses amis. Pourquoi ce rire s’était-il transformé en moquerie et ses yeux malicieux en un regard impertinent et arrogant ? Personne ne le savait. Mais ce que savait Sophian c’est qu’avant de tourner le dos à son ancien ami il fallait une dernière fois lui tendre la main et essayer de retrouver toute cette joie qu’il avait connue dans les yeux de Malek.

Quelquefois, pour aider les gens il faut user d’ingéniosité ! Il décida de le prendre à son propre piège. Sophian avait de la patience. Son prénom signifiait « sagesse », et il savait que réussir une action demande du temps. Voilà ce qu’il fit : pendant plusieurs jours il raconta à qui voulait bien l’écouter qu’il possédait la chose la plus chère à ses yeux. Il disait que cette chose était magnifique et qu’elle le rendait heureux parce que celui qui a la chance de la posséder deviendra l’homme le plus riche de tous les temps ! Evidemment tout ceci était des mensonges, et beaucoup de ses camarades n’en crurent pas un mot. Mais ce ne fut pas le cas de Malek qui, comme prévu, n’avait plus qu’une chose en tête : s’approprier ce trésor ! Cette idée fixe ne le quittait pas, et toute sa journée était consacrée à l’élaboration d’un plan pour réussir à avoir accès à cette chose si précieuse.

Finalement, l’affaire s’avéra plus facile qu’il ne l’avait imaginé. C’est Sophian lui-même qui lui proposa de lui montrer cette merveille, « au nom de leur vielle amitié », lui dit-il. À ces mots, Malek ressenti un petit un pincement au cœur parce que lui aussi se souvenait de ce temps où ils étaient si proches. Mais au lieu de lui donner des remords par rapport à ce qu’il s’apprêtait de faire, ce souvenir de leur ancienne complicité donna encore plus de valeur à l’objet que Sophian allait lui montrer, et l’envie de l’avoir rien que pour lui n’en était qu’augmentée. Il se dit que l’occasion était trop belle !  Le rendez-vous était fixé : ils se retrouveraient après l’école, au bord de la rivière, à l’endroit où avant ils avaient l’habitude de faire les quatre cents coups loin du regard d’un adulte qui les aurait sermonnés.

Sophian fut le premier à arriver à la rivière. Il n’eu pas besoin d’attendre longtemps pour voir accourir Malek, le sourire aux lèvres, remplit d’une excitation qu’il n’arrivait pas contenir.

– Montre-la moi ! Montre-la moi cette merveille !

Sophian lui dit qu’il allait la lui montrer, et même que, s’il voulait, il le laisserait la tenir entre ses mains un instant. Immédiatement Malek tendit ses mains. Mais avant de lui donner le précieux objet, Sophian ajouta :

– La seule chose que je te demande Malek, c’est de ne pas la laisser tomber, tu m’entends ?

À cette recommandation, Malek éclata de rire et répondit :

– Je ne laisse jamais rien s’échapper ! Tu peux compter sur moi ! Et dans sa tête il se dit : « mais que tu es naïf Sophian, comment je laisserais s’échapper ce que je veux avoir plus que tout ! »

Sophian prit un air sérieux, et d’une main assurée, sortit de sa poche une petite fiole. Il l’ouvrit et déposa une goutte dans le creux de la main de Malek. Immédiatement, la goutte roula, s’étala en une petite flaque qui se répandit entre les doigts de Malek, comme une mitaine d’eau, avant de se reformer à l’envers, sur le dos de la main, pour finir par tomber dans la rivière.

– Je t’avais dit de ne pas la laisser tomber ! Retrouve-la, récupère-la !

– Mais tu es fou ! Répondit Malek. Comment veux-tu que je retrouve une goutte dans la rivière ! Et puis c’est débile de me dire de ne pas la laisser tomber ! Comment veux-tu que je garde de l’eau dans mes mains !

Sophian ne répondit rien, il se contenta de sourire. Il venait de voir dans les yeux de son ami qu’il avait compris qu’il y avait des choses que l’on ne pourra jamais garder entre ses mains, des choses qui nous échapperont toujours et qui n’appartiennent à personne.

 

Julie Cloarec-Michaud

 

 

 

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