Le 2 octobre, nos expérimentations en forêt amazonienne se sont terminées majestueusement par la découverte d’un arbre millénaire, un spécimen de Ceiba Pentandra Bombacea, de 55 m de haut et dont la base à l’allure de quadruple cheville foulée est assez large pour que quarante personnes en fassent le tour.
Au pied de cet arbre sacré se célèbrent les mariages selon la tradition kichwa. Notre guide, Teo Rivadeneyra, un biologiste spécialiste des venins de serpent, ex employé de Bayer-Monsanto aux doigts atrophiés suite à ses services (volontaires) de cobaye, se vante d’être référencié dans le Guide du routard, Bison futé et leurs avatars américain, russe, anglais et italien tout en regrettant, assez contradictoirement, que cet arbre soit devenu la principale attraction touristique du village de Misahuallí. Lui-même s’y est marié, il y a douze ans, avec une Versaillaise, sous l’œil des caméras de télévision d’Équateur, de Colombie et de la BBC. La Française voulait des noces en bonne et due forme kichwa, alors Teo a mis le paquet en ressortant pour elle les trois habits féminins traditionnels de sa communauté, qu’elle a enfilés successivement lors de la cérémonie : le tapa rabo, pour les vierges, une robe de feuilles de palme et d’une couronne de plumes d’oiseau ; la pacha, robe en toile à frange bleu, pour les célibataires ; et la maquicotona pampalina, une blouse fleurie à manches longues, pour les mariées. « Je préfère ma forêt à Versailles », dit aujourd’hui le divorcé, dont on imagine l’ancienne épouse de retour au bleu-vert avec une belle histoire à raconter.
Teo est aussi fin connaisseur des grenouilles. Chaque année, au mois de décembre, il grimpe au sommet de l’arbre à l’aide d’un pistolet à air comprimé pour lancer une corde, ceci afin de capturer des dendrobatidae, la deuxième espèce de grenouille la plus venimeuse au monde, de 2,5 cm d’envergure et de couleur jaune, dont le venin sert à produire de la morphine. Bayer-Monsanto les élève en laboratoire à grande échelle. Jusqu’à récemment, Teo était chargé de renouveler le capital génétique de l’entreprise.
Il s’y connaît également en fourmis. Avant que nous dansions autour de l’arbre, il nous indique trois nids de fourmis congas dans autant de recoins du tronc. « Ces fourmis noires de trois centimètres de long injectent des neurotoxines, nous dit-il. Leur venin est mortel pour les allergiques dont le système nerveux peut-être paralysé. Pour les autres, la douleur est insupportable ». Il nous en montre une qui gambade par-là, et part. Nos grandes bottes jaunes ôtent un peu de grâce à nos pas, mais sont indispensables. La ronde peut commencer. Mais Emilia ne le sent pas : « Une certaine énergie provenant de l’arbre me dit qu’aujourd’hui, il ne veut pas de moi », confie-t-elle, plus spirituelle que jamais. Serge non plus n’est pas chaud : « Ce genre de rituel sacré est un peu tiré par les cheveux. C’est pas mon truc », s’excuse-t-il. En nombre réduit, les danseurs tournent très lentement autour de l’arbre en sautillant délicatement et en se couvrant la tête pour lui témoigner le plus grand respect, à lui et à tous ses habitants.
C’est là, aussi, que se déroule la cérémonie du passage à l’âge adulte des enfants kichwa, vers douze ans. Les jeunes absorbent un breuvage d’ayahuasca, une herbe hallucinogène, sous la tutelle obligatoire d’un chaman. « C’est une plante sacrée, pas une drogue, m’a-t-il prévenu en me montrant une fine liane tressée enroulée au tronc.
Je n’en ai pris qu’un petit bout, au cas où je rencontrerais un chaman.
M-H. A.